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ASTRONOMIQUE
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LE CYCLE DE L’IMAGE
La Galaxie MESSIER 51 dans l'Infrarouge
INTRODUCTION Les images scientifiques conditionnent profondément notre relation aux sciences et aux technologies. À elles seules, les images constituent des sources de connaissances. L’intervention des technologies numériques dans la production des images scientifiques, dans leur circulation, et dans leur valorisation engendre une modification des connaissances, que ces images transportent et transposent dans nos représentations socio-culturelles. C’est particulièrement le cas pour les images de l’astrophysique.  Nous procéderons à une analyse des images de l’astronomie, de leur construction à leur publication et médiatisation. Les réflexions d’Allamel-Raffin (2010) sur « l’apport d’une perspective génétique à l’analyse des images scientifiques » fournissent des pistes pour suivre la transformation des images au cours de leur circulation dans le champ scientifique. Cette méthode génétique est complétée à partir de la théorie du « cycle des images » formulée par Simondon comme le propose Bontems (2011).  En partant des observations de la galaxie Messier 51 par l’observatoire spatial Herschel, nous retraçons l’évolution d’une image scientifique au sens large par  un  cycle de l’image, de son origine dans le champ scientifique à sa valorisation hors de ce champ, tout en passant par les étapes de transformation au moyen des outils numériques. Le cycle proposé dans cette application fonctionne comme un diagramme illustrant les étapes de la construction d’une image observationnelle et comme un menu ouvrant vers une explication phénoménotechnique (au sens de Bachelard) insistant sur le rôle des instruments dans la production de connaissances en astrophysique. Partant d’une hypothèse (ex : l’intense activité stellaire dans une galaxie),
CRÉDITS ESA/Herschel CEA Karamoja productions NovaeFactory NASA/Spitzer NASA/IRAS ESA/ISO Publication Parkin et al. 2013 astrophysical journal
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une zone est cartographiée par une instrument (ex : PACS sur Herschel). Il en découle des observations sous la forme de données numérisées, traduction du rayonnement focalisé par le télescope puis transformé en signal par le détecteur. Le traitement sur ces données permet d’en déduire l’intensité du rayonnement et de projeter chaque valeur de cette intensité sur une carte aux coordonnées célestes. Suivant les hypothèses initiales sur la nature du rayonnement (ex : loi de Planck), la carte d’intensité peut être convertie en une carte de température ou de densité. De nouvelles images sont exportées pour visualiser les zones d’intérêt pour la formation stellaire (ex : zones froides et denses). S’en suit une sélection d’images en vue de la publication scientifique des résultats. Pour certains résultats marquants ou à fort potentiel publicitaire, un communiqué de presse est émis nécessitant la réalisation d’une image plus attirante. Certaines de ces régions à fort potentiel scientifique mais également médiatique influencent le choix des futures observations. Une image dans la culture scientifique doit laisser paraître les marques de l’instrument, être associée à des légendes décryptant les codes utilisés et faisant comprendre aux citoyens qu’ils voient quelque chose à travers une certaine mise en forme. C’est en redonnant la profondeur de la création technique de l’image, puis la conscience que plusieurs mises en images sont possibles qu’on restitue aux citoyens cette capacité de voir en accommodant. - - -Vincent Minier,  coordinateur du projet ExplorImages (PEPS Paris-Saclay CNRS),  coordinateur du projet ExplorNova au CEA Irfu et à l’Université de Nantes, co-responsable du projet ANR Epistémé
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#1  HERSCHEL
LE CYCLE DE L’IMAGE ASTRONOMIQUE
HYPOTHÈSES
L’objet à l’étude est la galaxie Messier 51, détectée par Charles Messier en 1773. Mais à cette époque, elle était désignée par le terme « nébuleuse ». Il faudra attendre les années 1930 pour réaliser que certaines nébuleuses célestes étaient aussi des galaxies, extérieures et regroupant comme la nôtre des centaines de milliards d’étoiles. C’est la lumière de ces étoiles, en particulier les étoiles massives (plus de 10 fois la masse de notre soleil), que nous recevons et détectons grâces aux télescopes.  Sur cette image, les zones blanchâtres contiennent des étoiles lumineuses. Mais ce sont les arcs noirâtres dans les bras spiraux qui retiennent notre attention. Sont-ils vides d’étoiles ou contiennent-ils de la matière invisible à nos yeux (équipés de télescopes) ? Cela sera notre hypothèse de travail.
INSTRUMENTS
Pour cartographier le rayonnement infrarouge émis par la galaxie M51, nous utiliserons un observatoire spatial car l’infrarouge est fortement absorbé par notre atmosphère. Ce sera l’observatoire spatial Herschel, du nom de William Hersche qui découvrit la lumière infrarouge en 1800. Herschel (l’observatoire) fut lancé dans l’espace en 2009 et placé en orbite à 1,5 million de km de la Terre. Il tournait avec la Terre autour du Soleil.  Le rayonnement infrarouge est émis par le milieu interstellaire froid des galaxies, composé de gaz et de poussière. Il remplit l’espace entre les étoiles. Herschel se décompose en sous-systèmes dont les miroirs focalisant la lumières vers les instruments de mesure (photométrie ou spectroscopie). Pour minimiser le rayonnement parasite émis par les instruments, ils sont refroidis à -271°C à l’intérieur d’un cryostat. 
La technique d’observation de M51 avec l’instrument PACS à bord d’Herschel est celle du balayage d’une zone sur le ciel. Herschel scanne le ciel à un rythme programmé. Le détecteur photométrique, un bolomètre, traduit toutes les 25 ms le rayonnement le chauffant en un signal électrique. Le plan focal du détecteur est composé de 8 matrices de 256 pixels-détecteurs chacune. En un temps donné, la zone est cartographiée, la partie centrale étant plus « vue » par les pixels que les bords de la carte. La première image scientifique est un graphe représentant le signal électrique en fonction de la position céleste « vue » par les détecteurs. Les bras spiraux de la galaxie correspondent aux maxima dans le signal.
OBSERVATION
Plan focal et détecteur Instrument PACS
amplitude du signal
Signal détecté
Matrice de bolomètres
Focalisation du rayonnement
Zone observée par balayage
position sur le ciel
TRAITEMENT
Le signal produit par les instruments est transmis à la Terre par l’intermédiaire du module de service (ordinateur central du satellite) et les antennes radio. Les données sont ensuite traitées par les astronomes et leurs algorithmes au sol. C’est le « segment sol » qui intervient regroupant toutes les interventions humaines et matérielles dans la transformation des données « instruments » en données étalonnées et utilisables par la communauté scientifique. Cette vidéo montre la réception des premières données fournies par Herschel en juin 2009, un mois après son lancement, et leur transformation quasi-immédiate en une image.
Les données traitées fournissent désormais des informations visualisées sous la forme d’images : positions sur le ciel (axes abscisses et ordonnées) et intensité du rayonnement infrarouge codée en couleur (rouge ici, mais on aurait pu mettre du rose). On remarquera des traces de la direction du balayage du ciel sur l’image « brute » que de nouveaux algorithmes vont effacer pour laisser apparaître l’émission infrarouge diffuse. On peut ainsi visualiser différents niveaux de correction des données en fonction des motivations scientifiques, par exemple, l’étude d’objets lumineux compacts ou celle des zones plus diffuses.
VISUALISATION
image brute
image propre
MÉDIATISATION
Une bonne médiatisation passe par une mise en vidéo des images scientifiques lui assurant une visibilité accrue sur les sites d’information et les sites de partage de vidéos. La belle image scientifique demeure un média porteur si celle-ci est relayée par des sites comme Astronomical Picture of the Day (APOD).
Certaines images scientifiques deviennent iconiques et les objets sacralisés accèdent à un statut à forte visibilité. Leur signification scientifique est souvent oubliée au profit de leur qualité picturale ou des mythes qu’elles véhiculent. Cette valeur médiatique ou iconique symbolise l'attitude ambivalente entre la diffusion d'un résultat scientifique et la publication d’un joli tableau : l'équilibre entre la fidélité à la recherche scientifique et l’utilisation d'un art suggestif puissant pour ne pas dire de la publicité. Il faut bien comprendre que les couleurs de ces magnifiques images ne représentent que des intensités lumineuses souvent mesurées dans des gammes de longueurs d’onde inaccessible à la vue. 
ICONISATION
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
L’image finale est publiée dans un article scientifique résumant l’étude de son hypothèse à la description des observations et des résultats. Cet article est expertisé par des chercheurs répondant bénévolement à la demande de l’éditeur du journal scientifique. Ces articles sont accessibles en ligne. Notons la mauvaise utilisation des couleurs sur cette image finale : le violet pour le plus froid et le rouge pour le moins froid. La physique aurait suggéré de mettre le violet (plus énergétique) pour le chaud et le rouge (moins énergétique) pour le froid contrairement aux codes intuitifs. Les auteurs ont ici préféré conserver une représentation colorimétrique commune.
PUBLICATION
La couleur représente le flux total infrarouge calculé à partir des cartes MIPS 24μm, PACS 70μm et PACS 160μm. Unité de flux : W/m²/sr.
Coordonnées de la galaxie Messier 51 dans le système équatorial J2000
NOUVELLES HYPOTHÈSES
La comparaison de ces nouveaux résultats aux images produites précédemment avec des télescopes plus petits démontre le gain en précision et permet une interprétation des résultats en nouvelles connaissances. Cela conduira à formuler de nouvelles hypothèses motivant de nouvelles observations.
L’hypothèse scientifique motivant ces observations résidait dans la détection de matière interstellaire froide à l’intérieur des bras spiraux des galaxies. Pour cela, nous avons opté pour des observations dans l’infrarouge submillimétrique sensibles à l’émission de rayonnement par de la matière à une température autour de 20 Kelvin ou environ –250°C. Les images produites représentent la distribution de cette matière dans la galaxie à différentes longueurs d’onde. L’image finale associe toutes ces cartes en une seule représentation montrant que la zone centrale de M51 est moins froide que les zones périphériques. 
SÉLECTION DES IMAGES
PACS 100 μm
PACS 160  μm
PACS 70 μm
Image recomposée